18 avril 2014

Lettre d’un Kayesien au gouvernement malien

 

Drapeau du Mali, crédit photo: flagartist.com
Drapeau du Mali, crédit photo: flagartist.com

Chaque jour, ce sont des tonnes de nos ressources naturelles qui sont prélevées de notre écosystème et de nos mines, mais nos populations vivent dans l’extrême pauvreté et dans le pire des dénuements. La voix de nos armes est-elle aussi nécessaire pour entendre nos souffrances ?

Chaque jour qui passe, nos richesses actuelles sont pillées, et celles à venir hypothéquées.

Notre écosystème est détruit et nos populations vivent dans le plus grand dénuement, assises sur des richesses incalculables et jetées dans les bras d’une pauvreté qui les consume à petit feu. Pourtant, nos populations ne disent rien et elles supportent en espérant un lendemain meilleur. Pourtant, les hommes politiques, ceux-là mêmes qui ont juré sur tous les dieux (parce qu’ils en ont plusieurs dont le dieu suprême est l’ARGENT) qu’ils les sortiraient de là ne font rien d’autre que mépriser davantage ces braves populations et tenter de créer des systèmes qui permettraient à leurs progénitures de reprendre leur flambeau de l’exploitation et de la démagogie.

La voix de ces sans-voix, n’est-elle pas audible pour laisser apparaître leurs souffrances ? Ou alors faudrait-il qu’ils aient recours aux armes (comme certaines minorités du pays en ont fait un motif de chantage) pour se faire entendre ?

Je suis Kayésien et je vous écris ce message. Mais avant, quand j’ai parlé à mon frère ségovien, il m’a dit qu’il pensait écrire le même texte, et qu’il lui suffirait de signer celui-ci sans en rien changer, car cette même lettre décrit bien son désarroi.

Bien avant mon frère ségovien, j’ai discuté avec une soeur koulikoroise. Elle m’a dit qu’elle pensait écrire une lettre au président de l’Assemblée nationale pour demander une démilitarisation de la région de Koulikoro afin d’afficher la colère des jeunes de Koulikoro suite à toute décision lâche devant le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) et la France.

Et quand elle raconta l’histoire de la lettre à son beau-frère sikassois, celui-ci lui jura que cette lettre correspondait totalement à sa réalité. Son ami moptitien s’est aussi proposé comme signataire de la lettre. Je ne suis plus allé loin dans le pays profond, et j’ai compris que ma lettre était celle de toutes les femmes et tous les hommes de ce pays. C’est pour cela que j’ai décidé de l’appeler la Lettre des Régions.

Si je me décide à vous écrire aujourd’hui c’est pour vous exprimer le chagrin et la colère qui m’animent face à une humiliation qui dure depuis bien trop longtemps. Avec l’histoire des indépendantistes du MNLA, des djihadistes, des narcotrafiquants, ainsi que de Sanogo et de ses hommes, nous avons vécu et nous continuons de vivre une époque unique de notre histoire : celle-ci semble s’être accélérée tendant à transporter les Maliennes et les Maliens dans une tourmente infinie.

Mais comme il est dit souvent, « a quelque chose malheur est bon », et c’est le seul espoir qui me reste pour penser que demain sera meilleur.

Cette crise multiforme que nous vivons a néanmoins permis de susciter non seulement un réveil de conscience en tout le monde, mais aussi de pousser le Malien à prendre conscience que les décisions qu’il prend ou les actes qu’il pose impacteront automatiquement sa propre vie et celle des siens même s’il a l’illusion sur le moment qu’il n’est qu’un petit maillon.

Dans la situation actuelle du pays, il ne peut y avoir d’épanouissement individuel sans prendre en compte l’environnement et l’ensemble de la société.

Depuis des décennies, la région de Kayes connaît un paradoxe : c’est comme si les ressources naturelles du sous-sol étaient une malédiction pour la région.

Depuis des années, voire des décennies, et avec une cadence élevée et continue, je constate qu’un petit nombre de sociétés privées, d’opérateurs économiques et de leaders politiques profitent de l’exploitation desdites richesses sans que les populations locales puissent en tirer un quelconque bénéfice et qu’elles continuent à vivre dans un très grand dénuement. Ces contrats miniers sont passés dans la plus grande opacité ne profitant au passage qu’à un petit groupe de politiciens véreux.

Il n’existe pas de mot précis pour décrire ce dénuement total et cette injustice dont sont victimes les populations de Kayes et de sa région.

Les enfants, les femmes et les hommes de la région de Kayes, voient ainsi les richesses de la terre de leurs ancêtres pillées devant eux, sans qu’ils ne puissent réagir et étant parfois même victimes collatérales de la pollution de leur écosystème et de leur environnement. L’Etat et ses démembrements aussi n’en tirent qu’un profit limité ne leur permettant pas de mettre en place le minimum d’infrastructures et de services qu’on pourrait légitiment attendre d’un Etat digne de ce nom. Ainsi, au lieu que ces ressources naturelles servent de sources de financement pour le développement de la région, elles ne font que creuser davantage le fossé de l’inégalité et aggraver l’injustice, servant ainsi de terreaux à une immigration massive et aveugle, mais poussant aussi une jeunesse désoeuvrée dans les filets de narcotrafiquants et d’islamistes irraisonnés.

Nous vivons un paradoxe. Comme le disait un célèbre humoriste français : LES PAUVRES SONT CONTENTS DE SAVOIR QU’ILS HABITENT UN PAYS RICHE !!!

Les comportements irresponsables de nos gouvernants successifs, la prédation des partenaires du Mali, camouflés sous des habits « partenaires au développement » schématisent éloquemment cette exacerbation des inégalités. De plus, les maigres recettes que l’Etat tire des ressources sont partagées avec toute la nation, ce qui dans le cadre du principe de solidarité au sein d’une nation est parfaitement concevable. Mais lorsque des leaders d’une région maintiennent des rébellions constantes sous des faux prétextes de sous-développement alors même qu’ils ont bénéficié de plus de largesses que le reste de la population, on se trouve alors devant de l’INJUSTICE. Rien n’est fait pour remédier à cela. Bien au contraire, ceux qui prennent les armes se sentent encouragés pour prendre en otage de façon périodique les autres parties du pays et le reste de la population alors même que les efforts consentis par l’Etat au nord sont de loin supérieur à ce qui est fait dans les autres parties du pays.

En effet, nul ne peut nier que les populations de Kayes sont socialement négligées et économiquement abandonnées par nos différents gouvernements et les partenaires du Mali.

Nul ne peut nier le poids des principales contraintes comme l’enclavement intérieur et extérieur, les problèmes d’eau, l’insécurité alimentaire, le faible taux de couvertures sanitaires, et l’inexistence de l’Etat.

Il est notoire de penser aussi que la région de Kayes aussi comporte des zones arides, désertées, oubliées, abandonnées.

Mais aussi nul ne peut nier que les enfants, les femmes et les hommes de Kayes, loin de baisser les bras et de constamment rendre les autres responsables de leurs malheurs, que ces hommes et ces femmes de Kayes ont créé une chaîne de solidarité.  En effet, ceux qui sont à l’extérieur apportent leur contribution à la construction des écoles, des cases de santé, à payer des enseignants et des médecins pour combler un déficit crée par l’incompétence et l’irresponsabilité d’hommes politiques successifs.

Pourtant, le radicalisme n’a pas pris là-bas et le Mali est resté le pays dont tout le monde se réclame.

La fierté nationale n’a jamais été remise en cause et n’a aussi jamais remis en cause le lien qui a été construit avec les autres populations au cours des siècles et des siècles d’histoire commune.

J’ai parlé de Kayes, car je suis natif de cette merveilleuse région de notre pays, mais j’aurais pu parler de la région de Koulikoro avec ses indices d’or, de fer et de pétrole.

J’aurais pu tout aussi parler de la région de Sikasso, avec son formidable potentiel agricole et minier.

J’aurais pu parler de la région de Ségou avec le bassin du Niger et ses potentialités infinies pouvant être le grenier de toute l’Afrique de l’Ouest.

J’aurais pu parler de la région de Mopti avec les ressources du fleuve en poissons, en irrigation, en élevage.

Tout comme j’aurais pu être ressortissant de la région de Tombouctou où même le blé et d’autres cultures peuvent être enracinés.

Sans oublier Gao, la boucle du Niger où les ressources sont tout aussi immenses que dans le reste du pays avec des hommes et des femmes courageux qui ont contribué fortement à l’histoire de notre pays, et Koulikoro le port naturel sur le Niger d’où le long périple sur le fleuve peut commencer.

Et bien sûr cette région de Kidal, où quelques énergumènes se voyant déjà en émirs, et par cupidité tentent de couper du reste du pays une partie du territoire qui fait partie intégrante de la nation, et à laquelle la nation a donné beaucoup, beaucoup pendant ces cinquante dernières années.

Cette situation doit et peut changer. Cette injustice n’est plus acceptable et ne saurait perdurer pendant longtemps.

Aujourd’hui, plus que jamais, il est impérieux que le gouvernement sache que tout notre peuple a faim et soif. Il a soif de justice et faim de développement. Il est plus qu’urgent que le gouvernement sache que notre peuple aspire aussi à vivre décemment et à bénéficier de ses droits les plus élémentaires….

Il est vraiment temps que le gouvernement malien se rende compte que nous aussi, Maliennes et Maliens de l’intérieur comme de l’extérieur, ne pouvons plus continuer à être des acteurs passifs et des accompagnateurs des fossoyeurs de notre République. Il est temps qu’on reconnaisse que notre peuple a aussi le droit de vivre, d’exister et de s’épanouir. Il est vraiment temps que l’Etat malien arrête de vivre des larmes, de la souffrance et du sang de nos hameaux, de nos villages, de nos villes.

Comprenez que toutes les ethnies et régions du Mali vous regardent et restent vigilantes par rapport aux manigances et aux faveurs faites aux apatrides du MNLA et à la fébrilité devant la France. Une chose est claire, tout acte, toute loi, tout comportement, toute complaisance, toute passivité n’engendreront pas seulement un effet, mais une série d’effets. Aujourd’hui, nous sommes tous et dans tout le pays victimes du favoritisme dont bénéficie le MNLA.

Nous refusons d’être complaisants, et de laisser passer toute politique, toute idéologie, tout traitement de faveur, ou toute discrimination positive en faveur de terroristes et bandits armés et au détriment des autres régions ou groupes ethniques. Notre credo est la liberté et la démocratie. Nous sommes de tous âges, de toutes religions, de toutes ethnies, de tous les bords qui, épaule contre épaule (nous) se révolteront(s) contre un gouvernement qui ne respecte pas les principes d’une véritable démocratie.

Trop c’est trop Monsieur le Président, et sachez que quand on a plus rien à gagner, c’est qu’on n’a plus rien à perdre aussi. Et puisque la soi-disant communauté internationale n’intervient que lorsque les armes ont parlé, ne donnez pas envie aux autres d’imiter les enfants perdus de la nation, les apatrides que sont le MNLA et ses acolytes. Peut-être même qu’il est en ce moment trop tard, et que des revendications pleuvront de tous les coins du pays. Ainsi, il n’y aura plus de Mali.

Pour ces raisons et bien d’autres encore nous appelons donc le gouvernement à :

1- Avoir une assise sur le développement de la région de Kayes, de Koulikoro, de Sikasso, de Ségou, de Mopti, de Tombouctou, et de Gao,

2- Arrêter de penser que les autres régions n’ont pas de problèmes.

3- Arrêter de nous traiter moins que des humains par rapport aux apatrides du MLNA.

4- Arrêter de persister dans les pratiques incessantes d’injustice à l’encontre de nos populations

5- Arrêter d’emprisonner les rêves de nos populations

6- Prendre des mesures afin de préserver notre nation, ses richesses, son environnement pour nos générations futures (ne dit-on pas que nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous la laissons en héritage à nos enfants)

7- Mettre en place une règlementation efficace de l’industrie minière

8- Associer les représentants de nos communautés a la prise de décision concernant nos ressources minières

9- Mettre en place des mécanismes qui promettent la transparence dans toute la chaîne d’apprivoisement de l’industrie extractive, depuis l’origine des contrats jusqu’à la répartition des revenues tout en passant par les budgets publics

Ce que nous voulons, c’est de témoigner de notre amour pour le pays et de dire notre engagement positif à la reconstruction du pays et de son tissu social si mal affecte. Et cela nécessite un langage de vérité, des actes volontaristes, et surtout mettre le Mali avant tout. Ce pays que d’autres ont contribué à bâtir mérite que l’on se sacrifie pour lui,

Ce pays peut s’en sortir si le peuple et les gouvernants s’engagent à le tenir debout,

Ce pays peut-être le plus beau pays du monde s’il devient le centre de notre préoccupation quotidienne sans aucune démagogie.

Ce pays que personne ne fera à notre place a besoin que nous soyons tous mobilisés.

Donnons-nous la main et luttons ensemble pour le grand Mali, mais de grâce, mettez hors-jeu ces apatrides à la citoyenneté flottante.

18-04-2014

S.D

Le Réseau de Citoyens Actifs-Mali (lerecamali@gmail.com)

Simples Citoyens Maliens. De L’Ecole de la Vie et de L’Amour du Pays

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Commentaires

ROSEN
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De tout coeur avec vous je ne peux que diffuser votre appel

Issa Balla Moussa Sangare
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A diffusir au maxi. Merci d'avance

Allaye SAGARA
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Très bien écrit Compatriote. Un texte qui décrit les réalités du Mali profond. Tu éveilles la conscience des maliens à travers tes billets. Bon courage!

Issa Balla Moussa Sangare
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Merci beaucoup M. Sagara pour le soutien.
On essaie tant bien que mal de jouer pleinement notre partition.