Mali : je pleure Modibo Keita

Aux abords du Ba Djoliba (le fleuve Niger), de l’Est à l’Ouest, entre pont de Sotuba et le pont Roi Fahd tout en passant le pont des Martyrs, et du Nord au Sud entre la colline du savoir et celle du pouvoir, je trempe ma plume dans l’eau du Ba Djoliba pour décrire mes larmes pour Modibo Keita, premier président de la république du Mali.
Avec les récents reports de décaissement de fonds pour le compte du Mali par les institutions de Bretton Woods, notamment le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM), je n’ai pu m’empêcher de me rappeler des propos Modibo Keita qui disait : « Notre liberté sera un mot vide de sens, si nous devrions toujours déprendre financièrement de tel ou tel pays.» C’est ainsi que mes larmes se sont mises à couler, car ce visionnaire hors normes, qui était doté d’une capacité d’analyse hors commun avait tout dit avant de s’éteindre.
Je pleure Modibo Keita, ce patriote né qui, avec ses élites nous conduisant à l’indépendance.
Je pleure Modibo Keita, cet érudit avec un sens élevé du devoir.
Je pleure Modibo Keita, ce panafricaniste convaincu, de renommée anoblie, qui envoyant 150 soldats maliens pour épauler l’Algérie dans sa guerre d’indépendance. Et ces militaires ne furent rappelés au Mali qu’après la proclamation l’indépendance Algérienne. En constatant la position de l’Algérie de 2012 à nos jours dans la crise septentrionale du Mali, mes larmes continuent de couler.
Je pleure Modibo Keita, ce grand facilitateur des crises inter-états. Le 29 et 30 octobre 1963 à Bamako, Modibo Keita reçoit le roi Hassan II du Maroc et le président Algérien Ben Bella, et facilite la signature d’un cessez-le-feu pour mettre fin à la « guerre des sables » (conflit frontalier entre l’Algérie et le Maroc). Avant l’intervention de Modibo Keita, il y avait eu plusieurs tentatives de négociation sans succès entre l’Algérie et le Maroc à savoir : celle du président tunisien, Habib Bourguiba, celle de l’empereur éthiopien Hailé Sélassié etc.
Je pleure Modibo Keita, ce nationaliste né, qui disait : « Nous avons fait, à la naissance de l’US-R.D.A (Union Soudanaise- Rassemblement Démocratique Africain), le serment de donner, s’il le fallait, notre vie à notre pays, notre Parti. Il est clair que donner sa vie, c’est aussi, accepter l’ultime sacrifice. » Si seulement si, nos leaders des partis politiques (plus de 150 partis) pouvaient faire tel serment au sein de leurs partis, il est fort évident qu’on aura d’autre types de politiques, des ‘Maliens Kura’ (des maliens de genre nouveau).
Je pleure Modibo Keita, à l’aube de la signature d’un accord de défense entre la France et le Mali. Ce nationaliste combatif qui, le 20 janvier 1961 convoqua dans la salle du Conseil des ministres de Koulouba l’ensemble des corps diplomatiques devant lesquels y compris l’ambassade de France. Il s’adressa au pouvoir français à travers son ambassadeur pour évacuer les troupes françaises du territoire malien. C’est la commémoration de ce discours de notre premier président prononcé devant les corps diplomatiques le 20 janvier 1961 que nous célébrons comme fête de l’armée.

Je pleure Modibo Keita et son armée face à la signature d’un accord de défense entre la France et le Mali. Le 5 septembre 1961 après la descente du drapeau colonial français, le dernier le soldat français quitta le Mali. Et c’est ce même jour à la base aérienne de Bamako que le général Soumaré (premier chef d’Etat-major de l’armée malienne et premier St Cyrien de l’Afrique de l’ouest) commanda à son tour la montée du drapeau malien pour l’éternité; moment de joie et de fierté.
Je pleure Modibo Keita, celui qui fait partie des rédacteurs de la charte de l’OUA (Organisation pour l’Unité Africaine) l’ancêtre de l’UA (Union Africaine).
Je pleure Modibo Keita, ce visionnaire hors normes qui rêvait des Etats Unis d’Afrique. La balkanisation de l’Afrique était le souci premier de Modibo Keita. Pour lui, il fallait faire l’unité africaine et former ainsi une grande entité face à l’Europe impérialiste et l’Amérique capitaliste.
J’essaie d’imagine la douleur de nos doyens encore vivants, mais malencontreusement cette imagination ne saurait ressentir ce qu’ils portent sur le cœur, il s’agit: du Pr Seydou Badian Kouyaté, auteur de sous l’orage et de l’hymne national du Mali, du Pr Bakary Kamian, en son temps censeur de l’unique lycée de Bamako « Terrasson de Fougère », aujourd’hui lycée « Askia Mohamed », du Pr Sididjé Traore, premier député de Goudam, et l’eternel compagnon de Modibo Keita Amadou Djicoroni pour ne citer quelques uns.
Sur les épaules de qui vais-je continuer à pleurer ? Sur celles de nos actuels politiques ? Non, car ils ont déjà trahie la mémoire de nos pères fondateurs. Sur celles de cette relève politique ? Non, car ils apparaissent déjà formatés par ce système mafieux en forme de spirale. De celles ma génération ? Non, tout sauf ça. Une génération perdue, sans repère. Sur celles de mes cadets ? Non, n’en parlons même pas d’eux. Une génération sacrifiée au profit de la télé, de l’internet et les réseaux sociaux par le narcissisme de Facebook et d’Instagram.
Nos descendants ont des droits sur nous
Je le dis et réitère, nos descendants ont des droits sur nous. Je suis convaincu que Modibo et ses compagnons étaient aminés par cette volonté, la volonté de léguer à leurs descendants une nation à part entière et non une république bananière.
« Jeunes du Mali, le Mali ne sera que ce vous en feriez» dixit Modibo Keita. Il faut des confrontations d’avis divers et même convergents pour arriver à des sorties de crise, à des propositions objectives. Il appartient désormais, à tous les maliens de tous les bords, du nord comme celles du Sud, l’intelligentsia des politiques, de la société civile, de la diaspora de conjuguer leur force, leur savoir-faire, leurs relations afin trouver une solution pour une paix durable, la quiétude et la cohésion nationale tant attendue.
Tous les feux sont en oranges, et bientôt ils seront en rouges. Avant que cela ne fasse, il est temps que nous fassions quelque chose, sinon nous seront devant Dieu et les hommes, rappelés par l’histoire et nos descendants.
Washington DC, le 30-06-2014
Issa Balla Moussa Sangaré
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